Malgré la terrible actualité du génocide en cours à Gaza, savoir se souvenir des héros de l’humanité exploitée reste une impérieuse nécessité. L’un des plus grands et des plus symboliques de ces héros fut sans conteste Nelson Mandela.
C’était il y a quelques jours le 10ème anniversaire de sa mort, à 95 ans.
Rolihlahla Mandela mourut en effet le 5 décembre 2013.
Ce que cet homme évoque pour moi et de nombreux autres, c’est avant tout du respect et de l’admiration.
On ne peut que vouer un respect profond au personnage qu’il fut pendant son extraordinaire et longue vie et une immense admiration pour tout le courage opiniâtre dont il dut faire preuve alors qu’il était emprisonné, en particulier dans le sombre bagne de Robben Island, sans espoir de libération, autant que pour la sagesse qui l’anima ensuite, alors qu’il avait gagné sa lutte implacable contre l’apartheid sauvage qui ravageait alors son pays et qui l’amena à en devenir le président, malgré quelques scories qui firent tache dans sa biographie et dont on reparlera.
Tout le monde connait sa vie de combat contre l’injustice, le racisme et sa traduction politique dans son pays d’Afrique australe : l’apartheid.
Mais peut-être n'est-il pas inutile de se rafraîchir la mémoire en revisitant ce que fut sa vie.
Le résumé biographique suivant est en partie inspiré de l’excellent article qui lui a été consacré par Wikipedia, coloré par la lecture des oeuvres de Mandela lui-même : “Un long chemin vers la liberté“ (1996) et “Pensées pour moi-même“ (Le livre autorisé de citations, publié sous la direction de Sello Hatang et Sahm Venter en 2011).
Une enfance en ruralité
Né le 18 juillet 1918 (Ça paraît vieux, ça, c’était il y a plus de 105 ans, au début du siècle dernier. Une éternité ? Non, pas tant que ça en réalité, pour mes références personnelles, puisqu’il est né 6 mois à peine après le décès de mon grand-père -paternel- et moins de 2 mois après la naissance de mon propre père, quant à mon grand-père maternel, né en 1875, il avait déjà 43 ans !), à l’autre bout du monde, mais c'était donc bien un contemporain.
Il était du clan Madiba, originaire de Mvezo, “un petit village au bord de la rivière Mbashe, dans le district d’Umtata, la capitale du Transkei“ (Nelson Mandela, “un long chemin vers la liberté“), en Afrique du Sud.
Il était le fils de Gadla Henry Mphakanyisma, lui-même fils d’Inkosi Enkhulu, roi du peuple thembu.
Sa mère était Noseki Fanny, troisième épouse de Gadla, du clan amaMpemvu des Xhosas appartenant, elle, à “la Maison de la main droite“ et sans doute d’origine San (Les San sont un ensemble de peuples autochtones d’Afrique Australe. Le terme “San“ remplace celui de “Bochiman“ (homme du bush), utilisé durant la période de la colonisation).
Gadla Henry Mphakanyisma, son père, donc, était “un homme grand, à la peau sombre, avec un port droit et imposant“… (Ouvrage cité). Il était issu du peuple des Xhosas et il était le chef traditionnel de Mvezo.
Suite à une querelle, il fut dégradé par un magistrat (blanc) auquel il s’était opposé et dépouillé de ses prérogatives de chef, dut s’exiler avec sa famille dans un village isolé nommé Qunu (sic). Rolihlahla n’était encore qu’un nouveau né. Il grandit là avec ses frères, cousins, copains, dans les trois huttes d’un kraal (hameau entouré d’une palissade).
/image%2F0809915%2F20231208%2Fob_54ad6b_qunu.png)
/image%2F0809915%2F20231208%2Fob_5417ac_slide-118.jpeg)
Période des études, occidentalisation et premières radicalisations …
C’est là, à Qunu, que Rolihlahla, qui avait jusqu’ici vécu comme tous ses jeunes camarades à la campagne, une vie de pâtre de veaux et de moutons, en liens avec la nature, commença à fréquenter l’école (méthodiste) et que son institutrice, Mrs Mdingane, l’affubla du prénom britannique de Nelson.
Son père mourut de la tuberculose alors qu'il n'avait que 9 ans : son oncle, le Régent Jongintaba, devint son tuteur.
Sa nouvelle école fut alors celle d’une mission méthodiste située à côté du palais du régent.
Inscrit ensuite au Clarkebury Boarding Institute, il obtint son Junior certificat (équivalent approximatif du Brevet des Collèges) en deux ans au lieu des trois ans habituels.
Désigné à 19 ans pour hériter de la fonction de conseiller de son père, Mandela poursuivit ses études à l’école méthodiste Healdtown à Fort Beaufort, fréquentée par la plupart des membres de la famille royale.
Diplômé, il rejoignit l'université de Fort Hare, la seule université du pays acceptant les Noirs, pour y entamer des études en droit. Il y rencontra Oliver Tambo qui devint son ami et collègue. Si dans son enfance il pratiquait la lutte Nguni (lutte traditionnelle sud-africaine où chaque combattant est armé de 2 bâtons et parfois d’un bouclier) c’est alors qu’il se mit à la boxe et à la course à pied..
Mais il y découvrit surtout le nationalisme afrikaner, souvent bête et raciste et en opposition, adhéra au Parti communiste sud-africain (SACP) dont il sera même membre du comité central.
Il prisait également la doctrine de non-violence prônée désormais par Mohandas Karamchand Ghandi, de retour en Inde, malgré ou peut-être même en raison de sa participation à la 2ème guerre des Boers lors de son exil en Afrique du Sud (1893-1915) et d’un certain racisme anti-Noir.
Renvoyé de l’université pour son activisme aux côtés des étudiants noirs, il se rebella contre son tuteur de Régent et sa volonté traditionaliste de mariage arrangé.
Il dut s’enfuir à Johannesburg. À son arrivée dans la capitale économique du Transvaal, Nelson Mandela trouva un emploi de garde dans une mine mais son employeur annula rapidement le contrat quand il s'aperçut que Mandela était le fils (adoptif) en fuite du régent.
Il travailla ensuite comme employé dans un cabinet d'avocats grâce à ses relations avec son ami et mentor Walter Sisulu. Tout en travaillant, Nelson Mandela termina par correspondance sa licence à l'université d'Afrique du Sud, puis commença des études de droit à l'université du Witwatersrand où il rencontra de nombreux futurs militants anti-apartheid.
En 1942, Il créa avec son ami Olivier Tambo, le premier cabinet d'avocats noirs d’Afrique du Sud.
C’est à cette époque que commença la véritable épopée de Nelson Mandela. Son destin était lié à la lutte héroïque qu’il avait entrepris pour libérer son pays du joug de l’apartheid et du poids énorme du racisme.
ANC et amorce d'apartheid
En 1945, l’ANC (Congrès National Africain) introduisit pour la première fois l'exigence du suffrage universel non racial (“one man one vote“) dans ses revendications.
Le parti passa alors de la simple lutte contre les discriminations raciales à une lutte plus large pour le pouvoir politique.
L’ANC subissait alors l'influence croissante de sa toute jeune et radicale ligue de jeunesse menée par Anton Lembede, Walter Sisulu et Oliver Tambo, ligue à laquelle Mandela adhéra, incitant aux actions de masse afin de lutter contre la domination politique de la minorité blanche et contre la ségrégation raciale, dont les dispositifs légaux étaient alors en cours d'uniformisation sur l'ensemble des quatre provinces sud-africaines.
Depuis la fondation de l'Union d'Afrique du Sud en 1910, le pays connaissait en effet une inflation de législations ségrégationnistes racistes :
De 1913 à 1942, une succession de lois avait interdit aux Noirs d’être propriétaires de terres en dehors des « réserves » indigènes existantes. Elles représentaient 7 % de la superficie totale de l’Union sud-africaine, d’où l’expropriation de nombreux paysans indépendants noirs et la constitution d’un prolétariat agricole, puis une loi introduisit la ségrégation résidentielle permettant aux municipalités de créer des quartiers réservés aux Noirs et de limiter leur urbanisation.
On supprima les Noirs des listes électorales dans les communes de la province du Cap.
En 1942, à la suite de plusieurs discours hostiles à l'engagement dans le second conflit mondial et officiellement dans une perspective de « prévention des troubles », les grèves des travailleurs noirs furent déclarées illégales.
Aux élections générales de 1948, la victoire du Parti national entraina la mise en place d'une nouvelle politique de ségrégation connue sous le nom d'apartheid.
Politique d’apartheid et répression
Dans ce système, le rattachement territorial, puis la nationalité et le statut social, dépendaient du statut racial de l'individu, défavorisant largement la population noire et interdisant les mariages mixtes.
En 1952, Nelson Mandela fut élu président de l’ANC du Transvaal et vice-président national.
Il mena alors avec l'ANC la campagne de désobéissance civile (Defiance Campaign) contre les lois considérées comme injustes, campagne qui culmina dans une manifestation le 6 avril 1952.
Sur les dix mille manifestants, huit mille cinq cents furent arrêtés, y compris Nelson Mandela.
La campagne continua en octobre avec des manifestations contre les lois de ségrégation et contre le port obligatoire de laissez-passer pour les Noirs.
Le gouvernement modifia alors la loi sur la sécurité publique pour autoriser le pouvoir à suspendre les libertés individuelles, à proclamer l'état d'urgence et à gouverner par décrets.
Mandela fut condamné à neuf mois de prison avec sursis, se vit interdire toute réunion et fut placé en résidence surveillée chez lui à Johannesburg ; il utilisa cette situation pour organiser l’ANC en cellules clandestines.
Résistance non violente et répression
Cette campagne de résistance passive, qui prit fin en avril 1953, permit à l'ANC de gagner en crédibilité, passant de sept mille à dix mille adhérents. Son option non raciale lui permit de s'ouvrir aux Indiens et aux communistes blancs
En 1955 eut lieu le congrès du peuple, qui adopta la « Charte de la liberté » qui donnait les bases du mouvement anti-apartheid.
Pendant toute cette période, Nelson Mandela et son ami Oliver Tambo dirigeaient le cabinet d'avocats Mandela & Tambo fournissant un conseil juridique gratuit ou à bas coût pour les nombreux Noirs qui ne pouvaient pas payer des frais d'avocats.
Alors qu'ils étaient engagés dans une résistance pacifique, Nelson Mandela et cent cinquante-six autres personnes furent à nouveau arrêtés le 5 décembre 1956 et accusés de trahison. Un procès marathon s’ensuivit. Tous les prévenus, furent cependant finalement relâchés puis acquittés par la justice sud-africaine.
En 1957, Nelson Mandela divorça puis épousa en 1958 Winnie Madikizela-Mandela.
Le 21 mars 1960 dans le township de Vereeniging, dans le sud du Transvaal, lors d'une manifestation du Congrès panafricain contre l'extension aux femmes du passeport intérieur, que les hommes noirs étaient obligés de porter constamment sur eux sous peine d'être arrêtés ou déportés, une soixantaine de policiers, sur un effectif total de trois cents hommes retranchés dans un local de la police et appuyés par des véhicules blindés, tirèrent sans sommation sur une foule d'environ cinq mille personnes dont seules trois cents étaient encore à proximité des policiers.
Ce fut un massacre.
Il y eut soixante-neuf morts, dont huit femmes et dix enfants, ainsi que cent quatre-vingts blessés, dont trente-et-une femmes et dix-neuf enfants.
La majorité des blessures par balles avaient été faites dans le dos sur une foule en fuite et non armée. Les tirs étaient délibérés.
Le gouvernement déclara l'état d'urgence face aux manifestations qui s'ensuivirent et interdit l'ANC et le PAC (Congrès Panafricain), dont les dirigeants furent emprisonnés ou assignés à résidence.
Le Conseil de sécurité des Nations unies vota le 1er avril la résolution 134, qui condamnait le massacre et invita le gouvernement sud-africain « à abandonner ses politiques d'apartheid et de ségrégation raciale ».
Nelson Mandela brûla son passeport intérieur, rendu obligatoire pour les hommes noirs par le régime politique de l'apartheid (1960).
Lutte armée
La stratégie non violente de l'ANC fut alors abandonnée. Elle n’avait apporté aucune avancée.
Face à la violence des Blancs, Nelson Mandela fonda en 1961 Umkhonto we Sizwe (MK), la branche militaire de l’ANC, prônant l'action armée.
Il coordonna des campagnes de sabotage contre des cibles symboliques, préparant des plans pour une possible guérilla si les sabotages ne suffisaient pas à mettre fin à l'apartheid.
Nelson Mandela favorisa les sabotages qui n’entraînaient aucune perte en vie humaine avant de s'engager dans « la guérilla, le terrorisme et la révolution ouverte ».
Entre 1961 et 1963, quelque 190 attaques armées ont pu être répertoriées, principalement à Johannesburg, à Durban et au Cap. Aucune victime humaine ne fut à déplorer.
Amorce d’un destin international et les menaces du camp de la droite
En 1962, il quitta l'Afrique du Sud pour la première fois avec le soutien du président tanzanien Julius Nyerere. Il entreprenait une tournée continentale pour établir des contacts extérieurs et obtenir le soutien des gouvernements africains dans la lutte armée contre Pretoria.
Outre la Tanzanie, il voyagea au Ghana et au Nigeria, où fonctionnaient déjà d'importantes sections de l'ANC.
Il rencontra le dirigeant nationaliste zambien Kenneth Kaunda, puis, admirateur de Nasser, se rendit en Égypte pour s’imprégner des réformes en cours.
Au Maroc et en Tunisie, il rencontra de nombreux combattants anti-colonialistes de tout le continent, et visita une unité sur le front algérien, estimant que la situation algérienne était celle qui se rapprochait le plus de celle de son pays.
Enfin, il effectua une série de voyage en Guinée, au Sénégal, au Liberia, au Mali et au Sierra Leone pour procurer des armes à l'ANC.
Mandela organisa l'entrainement paramilitaire du groupe MK.
II étudia Carl von Clausewitz, Mao Zedong, Che Guevara et les spécialistes de la Seconde Guerre des Boers.
Sous la présidence de Reagan, dans les années 80, les États-Unis d’Amérique classèrent l’ANC comme “organisation terroriste“ et il fut interdit à Mandela d’entrer aux États-Unis d’Amérique.
Ce n’est qu’en 2008 que les États-Unis rayèrent officiellement les membres de l'ANC de cette base de données.
Comme d’habitude, le gouvernement du Royaume-Uni suivit la même ligne : Le Premier ministre, Margaret Thatcher, déclarait en 1987 : « L'ANC est une organisation terroriste typique … Quiconque pense qu'elle va gouverner en Afrique du Sud n'a pas les pieds sur terre. »
Des voix de droite ajoutaient même : « Combien de temps encore le Premier ministre laissera-t-il un terroriste noir lui cracher au visage ? » ou encore, dès les années 1980, pour la droite occidentale : « On devrait descendre Nelson Mandela ! ».
Chute et violente répression
Le 5 août 1962, grâce à des renseignements fournis par la CIA, Nelson Mandela fut arrêté après dix-sept mois de clandestinité et emprisonné au fort de Johannesburg.
Trois jours après son arrestation, Nelson Mandela fut officiellement accusé d'avoir organisé une grève en 1961 et d'avoir quitté le pays illégalement.
Il fut condamné à cinq ans de prison.
Alors qu'il purgeait sa peine, la police arrêta plusieurs dirigeants de l'ANC à Rivonia, Parmi les onze personnes arrêtées figuraient Walter Sisulu et Govan Mbeki. Nelson Mandela fut lui aussi mis en cause et, avec ses compagnons, il fut accusé de quatre sabotages, de trahison, de liens avec le Parti communiste sud-africain, mais aussi d’avoir comploté une invasion du pays par l'étranger.
Le « procès de Rivonia » débuta le 9 octobre 1963 à Pretoria.
Mandela expliqua : "Toute ma vie je me suis consacré à la lutte pour lke peuple africain. J'ai combattu contyre la domination blanche et j'ai combattu contre la doination noire. J'ai chéri l'idéal d'une société libre et démocratique dans laquelle toutes les personnes vivraient ensemble en harmonie et avec les mêmes opportujité. C'est un idéal pour lequel j'espère vivre et agir. Mais, si besoin est, c'est un idé al pour lequel je suis prêt à mourir."
Les accusés furent jugés coupables de sédition le 11 juin 1964 et condamnés à la détention à perpétuité .
Le Conseil de sécurité des Nations unies condamna le procès de Rivonia et recommanda des sanctions internationales contre l'Afrique du Sud.
Malgré une pétition internationale qui recueillit les signatures de 143 personnalités appelant la communauté internationale à dénoncer non seulement les arrestations, mais les législations de l'apartheid, en 1964, la résistance se retrouvait donc décapitée.
Tandis que les pays du Commonwealth prenaient quelques distances, le gouvernement sud-africain, loin d'être sanctionné, profita des années de prospérité économique pour encourager l'immigration européenne et développer son industrie et son armement grâce à l'Allemagne et à la France, avec le soutien des États-Unis, au nom de la lutte contre le communisme.
Verwoerd intensifia l'application de sa politique de séparation forcée en procédant à de nombreuses expulsions de populations noires vers les zones qui leur étaient attribuées afin que de bonnes terres soient développées ou habitées par les Blancs.
Un système de contrat obligea les salariés noirs de l'industrie à vivre dans des résidences dortoirs au sein des townships, loin de leurs familles demeurées en zone rurale.
Les conséquences pour ces populations furent souvent catastrophiques au niveau social tandis que la population carcérale atteignit cent mille personnes, un des taux les plus élevés au monde.
Entre 1960 et 1980, ce sont plus de trois millions et demi de paysans noirs qui furent dépossédés de leurs terres sans aucun dédommagement pour devenir un réservoir de main-d'œuvre bon marché et ne plus être des concurrents pour les fermiers blancs.
18 ans de bagne à Robben Island, “l’université Mandela“
En 1964, Nelson Mandela fut emprisonné sous le numéro de matricule 46 664 dans l'île prison de Robben Island, où il restera dix-huit de ses vingt-sept années de prison.
Mais bien qu’emprisonné et au secret, sa notoriété ne fit que s'étendre localement et au niveau international.
Sur l'île, il effectuait des travaux forcés dans une carrière de chaux. Les prisonniers y étaient victimes de kératite, maladie due à la poussière et à la lumière ; Mandela dut d'ailleurs plus tard se faire opérer de ce fait du canal lacrymonasal.
Les prisonniers échangeaient néanmoins leurs connaissances dans ce qui fut bientôt surnommée « l'université Mandela », parlant aussi bien de politique que de William Shakespeare, Nelson Mandela récitant et enseignant le poème “Invictus“ (Invaincu) de William Ernest Henley (écrit en 1875 à la suite d’une amputation d’un pied) afin de les encourager. Le mot “invictus“ (invaincu) fut d’ailleurs repris par Clint Eastwood en 2009 lorsqu’il dut intituler son film sur Mandela.
Invictus
Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce à Dieu quel qu’il soit,
Pour mon âme invincible et fière.
Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Sous les coups du hasard,
Ma tête saigne mais reste droite.
En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Et bien que les années menacent,
Je suis et je resterai sans peur.
Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.
Quand ils n’allaient pas à la carrière, Mandela et les autres détenus cassaient des cailloux dans une des cours de la prison à des cadences éprouvantes.
Les conditions de vie étaient particulièrement rudes.
Les prisonniers étaient séparés selon leur couleur de peau, les prisonniers noirs recevant les plus petites rations.
Les prisonniers politiques, dont faisait partie Nelson Mandela, étaient séparés des criminels de droit commun mais avaient encore moins de droits.
Prisonnier de classe D (la plus basse classe), il n'avait droit qu'à un visiteur et une lettre tous les six mois. Cette lettre a souvent été retardée durant une longue période et rendue illisible par la censure de la prison.
Il se lavait avec de l'eau de mer froide et dormait dans une cellule minuscule.
Pendant une période de sa captivité, tous les jeudis, les gardiens blancs demandaient à Mandela et d'autres prisonniers noirs de creuser une tranchée d'1,80 m de profondeur. Lorsqu'elle était terminée, les gardiens demandaient aux prisonniers de descendre dans la tranchée, puis ils leur urinaient dessus, avant de leur demander de reboucher la tranchée et de retourner en cellule.
Robben Island était un enfer destiné briser la volonté des prisonniers. Celle de Mandela semble au contraire s’être renforcée pendant la détention.
Selon le témoignage de ses codétenus, Mandela n'accepta aucun traitement de faveur, que ce soit pour le travail ou les vêtements, et mena toutes les actions de contestation avec les autres prisonniers, y compris des grèves de la faim.
Il refusait aussi d'appeler ses gardes sous le nom de “baas“ (patron) comme ils l'exigeaient.
Même soumis aux travaux forcés, il s'obligea à conserver une pratique sportive. Il courait quotidiennement sur place dans sa cellule pendant 45 minutes, effectuait une centaine de pompes, des abdos, des flexions profondes des genoux et des exercices de gymnastique appris lors de ses entrainements, encore étudiant, en salle de boxe.
Alors que beaucoup de prisonniers refusaient de parler ou même de regarder les gardiens, Mandela essayait d'analyser la situation et s’apercevait que les Afrikaners étaient surtout dirigés par la peur que la majorité noire refuse de partager le pouvoir et fasse d'eux et de leur famille les victimes d'une révolution sanglante.
Nelson Mandela profita de ces années pour apprendre l'histoire des Afrikaners et leur langue, l’afrikaans afin de comprendre leur mentalité et d'établir un véritable dialogue avec eux.
Il en vint à estimer et déclarer que l'Afrikaner était un Africain au même titre que n'importe lequel de ses codétenus noirs. C’est cette compréhension des Afrikaners qui lui donna sans doute la force et l'esprit de réconciliation nécessaires aux futures négociations.
Lent processus de libération sous la pression de l’opinion
En 1971, au bout de sept ans, Mandela quitta la carrière de chaux et fut transféré au ramassage du guano.
Le 6 décembre 1971, l’Assemblée générale des Nations unies déclara l’apartheid crime contre l’humanité.
Le 16 juin 1976 éclataient des émeutes à Soweto menées par des élèves noirs soutenus par le mouvement de la Conscience noire. Le but de était de protester contre l'introduction de l'afrikaans comme langue officielle d'enseignement à égalité avec l'anglais dans les écoles locales.
Pour disperser la foule, la police tira à balles réelles, causant au moins 23 morts. On estime que 20 000 élèves avaient participé à ces manifestations et qu’entre 176 et 700 personnes avaient été tuées au total lors de la répression menée par les forces de police.
En octobre, le Conseil de sécurité des Nations unies votait la résolution 417 qui « condamne vigoureusement le régime raciste sud-africain » et demandait la libération de « toutes les personnes emprisonnées au titre de lois arbitraires sur la sûreté de l'État (...) et pour leur opposition à l'apartheid. »
En novembre, la résolution 418 imposait un embargo sur les ventes d'armes à destination de l'Afrique du Sud.
Nelson Mandela ainsi que d'autres militants furent placés en isolement carcéral, où radio et journaux étaient interdits ou censurés.
En 1979, il revit, pour la première fois après quinze ans, sa deuxième femme, Winnie.
En mars 1982, Mandela fut enfin transféré, en compagnie des principaux dirigeants de l'ANC à la prison de Pollsmoor, dans la banlieue du Cap, avec des conditions de vie moins rudes. Le gouvernement blanc aux abois sous la pression internationale voulait pouvoir établir un contact discret avec l’ANC.
Pendant son emprisonnement, Mandela avait étudié par correspondance à l’université de Londres via son programme externe, et reçut un diplôme de Bachelor of laws. Il fut même présélectionné pour le titre de chancelier de cette université, finalement attribué à la princesse Anne du Royaume-Uni (ne demandez pas pourquoi !).
En février 1985, le président Pieter Willem Botha offrit à Nelson Mandela, contre l'avis de ses ministres, la liberté conditionnelle en échange d'un renoncement à la lutte armée. Mandela rejeta l'offre, disant dans un communiqué transmis par sa fille Zindzi : « Quelle liberté m'est offerte alors que l'organisation du peuple demeure interdite ? Seuls les hommes libre peuvent négocier. Un prisonnier ne peut pas faire de contrat. »
La même année, Botha abolit les lois sur les laissez-passer et les mariages mixtes. Mais cette concession minime était considérée comme trop timide par Nelson Mandela qui réclamait toujours avec l’ANC clandestin « un homme, une voix ».
La première rencontre entre Nelson Mandela et le gouvernement eut lieu en novembre 1985 : le ministre de la Justice, Kobie Coetsee, rencontra Mandela à l'hôpital Volks au Cap, où il était opéré de la prostate. Au cours des quatre années suivantes, une série de rencontres posa les bases pour de futures négociations, mais aucun progrès réel ne fut réalisé.
Sa dernière prison en 1986 fut une villa avec piscine, à une soixantaine de kilomètres du du Cap, où il lui était accordé le droit de recevoir toutes les visites qu'il désirait.
Force de la pression internationale pour la libération de Mandela
Pendant toute la durée de l'emprisonnement de Nelson Mandela, la pression, locale et internationale sur le gouvernement sud-africain, augmentait.
En 1985, Mandela fut le premier lauréat du prix Ludovic-Tarieux pour son engagement en faveur des droits de l'homme. Comme il était encore en captivité, c'est sa fille qui reçut le prix en son nom.
Le 11 juin 1988 eut lieu le concert hommage des 70 ans de Nelson Mandela à Wembley. Regardé par six cents millions de téléspectateurs dans soixante-sept pays, il exposa au monde entier la captivité de Mandela et l'oppression de l'apartheid, et força le régime sud-africain à libérer Mandela plus tôt que prévu.
En 1989, alors que l’état d'urgence régnait depuis quatre ans, Nelson Mandela écrivit à Pieter Botha pour déterminer les principaux points à traiter :
« Premièrement, la revendication de la règle de la majorité dans un État unitaire, deuxièmement, les inquiétudes de l’Afrique du Sud blanche face à cette demande. »
En 1985 Botha fut remplacé par Frederik de Klerk à la tête du gouvernement.
Le 15 octobre 1989, De Klerk libéra sept dirigeants de l’ANC, dont Walter Sisulu, qui avaient chacun passé vingt-cinq ans en prison.
Libération et montée en puissance
Le 2 février 1990, le Président De Klerk annonça la levée de l'interdiction de l'ANC et de plusieurs autres organisations anti-apartheid, ainsi que la libération prochaine et sans condition de Nelson Mandela.
Ce dernier fut libéré le 11 février 1990 après 27 ans, 6 mois et 6 jours d'emprisonnement. L'événement fut retransmis en direct dans le monde entier.
Le jour de sa libération, Nelson Mandela fit un discours depuis le balcon de l'hôtel de ville du Cap. Il y affirmait son engagement pour la paix et la réconciliation avec la minorité blanche du pays, mais annonçait clairement que la lutte armée de l'ANC n'était pas terminée :
« Notre recours à la lutte armée en 1960 avec la formation de l'aile militaire de l'ANC était purement une action défensive contre la violence de l'apartheid. Les facteurs qui ont rendu nécessaire la lutte armée existent toujours aujourd'hui. Nous n'avons aucune option à part continuer. Nous espérons qu'un climat propice à une solution négociée existera bientôt, ce qui rendra inutile la lutte armée. »
Mandela dit aussi que son objectif principal est de donner à la majorité noire le droit de vote aussi bien aux élections nationales que locales.
Après avoir mené les négociations sur l’élaboration d’une nouvelle Constitution, Nelson Mandela put finalement proclamer le 6 août 1990 la fin de la lutte armée.
En juillet 1991, Nelson Mandela fut élu président de l'ANC à l'occasion de la première conférence nationale de l'ANC en Afrique du Sud, et Oliver Tambo, qui dirigeait l'ANC en exil depuis 1969, devint secrétaire national.
Nelson Mandela fit alors un voyage à Cuba, lors duquel il rencontre Fidel Castro.
Celui-ci lui rendit un fervent hommage : « Si on veut avoir un exemple d'un homme absolument intègre, cet home, cet exemple est Mandela. Si on veut avoir un exemple d'un homme inébranlablement ferme, vaillant, héroïque, serein, intelligent, capable, cet exemple et cet homme est Mandela. Et je ne le pense pas après l'avoir connu, après avoir pu converser avec lui, après avoir eu le grand honneur de le recevoir dans notre pays, je le pense depuis beaucoup d'années et je le reconnais comme l'un des symboles les plus extraordinaires de cette ère. »
Les efforts de Nelson Mandela et du président Frederik de Klerk furent reconnus mondialement quand ils reçurent conjointement le prix Nobel de la paix en 1993 en hommage à « leur travail pour l'élimination pacifique du régime de l'apartheid et pour l'établissement des fondations d'une Afrique du sud nouvelle et démocratique. »
Mais quand Chris Hani, un des dirigeants du MK et du Parti communiste sud-africain, fut assassiné le 10 avril 1993 par un extrémiste blanc, Janus Walusz, avec la complicité d’un député du Parti conservateur, on craignit que le pays ne plonge à nouveau dans la violence et Nelson Mandela dut lancer un appel au calme au pays par un discours considéré comme présidentiel bien qu'il n'ait pas encore été élu : « Je m'adresse ce soir à tous les Sud-Africains, noirs et blancs, du fond de mon être. Un homme blanc, plein de préjugés et de haine, est venu dans notre pays et a accompli une action si ignoble que notre nation tout entière se situe au bord du précipice. Une femme blanche d'origine Afrikaner a risqué sa vie pour que nous puissions reconnaître et traduire en justice cet assassin. Le meurtre de sang-froid de Chris Hani a créé un choc dans tout le pays et dans le monde… Il est maintenant temps pour tous les Sud-Africains de s'unir contre ceux, de n'importe quel camp, qui espèrent détruire ce pour quoi Chris Hani a donné sa vie : la liberté pour chacun d'entre nous. ».
Président de la république d'Afrique du Sud, nation arc-en-ciel
À la suite des premières élections générales multiraciales, largement remportées par l'ANC (62,6 % des voix), en avril 1994, Nelson Mandela fut élu président de la république d’Afrique du Sud.
Lors d'un discours le 2 mai, il prononça le « free at last – enfin libre » de Martin Luther King.
Nelson Mandela prêta serment le 10 mai 1994 devant une grande partie des responsables politiques internationaux, dAl Gore (Vice-Président US) à Fidel Castro. Il présida au premier gouvernement non racial du pays, entre l'ANC, le Parti national et le parti zoulou Inkatha Freedom Party. Dans son discours d'investiture, Mandela célèbre la fin de l'apartheid dont « doit naître une société dont toute l'humanité sera fière », le retour de l'Afrique du Sud dans la communauté internationale et l'amour commun du pays et l'égalité raciale seront le ciment de la nouvelle « nation arc-en-ciel en paix avec elle-même et avec le monde ». Il évoque les défis de son mandat que sont la lutte contre la pauvreté, les discriminations et « qu'il n'y a pas de voie facile vers la liberté ».
La date du 27 avril devient un jour férié en Afrique du Sud.
À partir de 1996, Mandela laisse à Thabo Mbeki la gestion quotidienne du pays et en décembre 1997 il quitte la présidence de l'ANC, ce qui permet une passation des pouvoirs en douceur et contribue à la stabilité politique du pays et à conserver sa bonne image au niveau international.
Quand Nelson Mandela quitte le pouvoir peu avant ses 81 ans, il laisse l'image d'un grand résistant et d'un grand chef d'État, notamment pour sa capacité à pardonner.
Il laisse aussi une démocratie solide, mais de grands problèmes à résoudre, héritage des abus et négligences du régime de l'apartheid. Son successeur hérite de l'économie la plus puissante d'Afrique, mais stagnante et avec d'énormes inégalités entre Blancs et Noirs souvent peu éduqués et un taux de chômage de 40 %.
Il est l'unique personnalité politique mondiale contemporaine à avoir reçu un hommage aussi unanime et autant de respect et d’affection.
Retraite et épilogue
Il s'y était engagé lors de son élection, Nelson Mandela, élu à l'âge de 77 ans, n'est pas candidat à un second mandat en 1999.
Il se met en retrait de la vie politique, laissant la présidence de la République.
Mandela vivra encore 14 ans. Divorcé en mars 1996 d’avec Winnie, il s’était remarié le jour de ses 80 ans, en 1998, avec Graça Machel, née Simbine, veuve de Samora Machel, ancien président du Mozambique et allié de l'ANC qui avait été tué dans un accident aérien douze ans auparavant .
Sa retraite ne fut cependant pas inactive, il participa à de nombreuses œuvres caritatives (éducation, sida, etc.) et prit position sur de nombreux sujets liés à l'actualité, nationale et internationale.
Mandela devint le porte-parole de nombreuses organisations d'aide sociale ou de défense des droits de l'homme. Il soutint le mouvement international Make Poverty History et également SOS Villages d’enfants (pour les orphelins et abandonnés) .
Il est d’autre part intervenu personnellement et avec succès pour que son pays soit désigné en 2004 pays organisateur de la Coupe du monde de football de 2010.
Il fut le principal médiateur pour la paix au Burundi, s’opposa à la guerre d’Irak.
Dans le conflit au Proche Orient entre Israël et la Palestine, sa position demeure d’une modernité brûlante. Il demandait qu'Israël se retire des territoires occupés, mais aussi que les pays arabes reconnaissent le droit à Israël d'exister au sein de frontières sûres et bien sûr, il dénonçait l'apartheid en Israël aussi, comparant la lutte des Palestiniens à celle des Noirs sud-africains.
Il condamnait également, comme « complètement inexcusable » l’abordage de la flottille pour Gaza par l'armée israélienne qui avait fait plusieurs morts civils en mai 2010 et demandait la fin du blocus de la bande de Gaza, rappelant que la moitié de son million et demi d'habitants avait moins de 18 ans et que le blocus était « internationalement illégal et contre-productif car favorisant les extrémistes ».
Hommage unanime après sa mort ?
Il meurt le 5 décembre 2013 d’une insuffisance respiratoire due aux séquelles de ses années en prison.
53 pays déclarent un deuil national.
Une centaine de chefs d’état, dont le président Obama, font le déplacement à Soweto le 10 décembre pour une cérémonie d’hommage.
« Colosse moral » pour Desmond Tutu, « Il est le libérateur national, le sauveur, leur Washington et Lincoln en un seul homme. » pour le magazine Neewsweek.
L’unanimité des témoignages d'admiration et d'affection fut impressionnante.
Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon déclara qu'il était « un citoyen du monde exemplaire" et "l'incarnation vivante des plus hautes valeurs des Nations unies. Son engagement envers une Afrique du Sud démocratique, multiraciale ; sa poursuite tenace de la justice ; sa volonté de se réconcilier avec ceux qui l'ont le plus persécuté- ce sont certaines des caractéristiques d'un homme remarquable ».
Même Nicolas Sarkozy y alla de son compliment n'hésitant pas à superlativiser, même si ça pouvait ressembler, le concernant, à de la flagornerie : « Nelson Mandela représente un espoir pour l'humanité. C'est un homme qui est responsable de la réussite exceptionnelle de l'Afrique du Sud, de cette coexistence multi-ethnique. C'est un symbole pour beaucoup d'entre nous . »
Grand militant ou demi-dieu ?
Est-ce à dire que Nelson Mandela était si exceptionnel qu’il s’était hissé au niveau des demi-dieux ?
Hélas, certains aspects découverts plus récemment mettent en doute le caractère totalement transparent de l’icône. Les Paradise Papers ont montré qu’il avait sans doute caché des millions de dollars dans des paradis fiscaux…même s’il ne s’agissait en réalité “que“ de 2 millions et qu’ils étaient plus ou moins destinés à donner de l’argent à l’étranger pour les causes que Mandela soutenait..
On ne peut pas faire abstraction de ces faits.
Mais on ne peut pas faire abstraction non plus de 95 années d’une vie extraordinaire mise au service d’une lutte acharnée pour la justice.
Rolihlahla, du clan Madiba, devenu Nelson, puis connu mondialement sous son nom de Mandela, Président de la nation arc-en-ciel, restera encore longtemps un symbole inégalé pour tous ceux qui, à travers le monde, militent contre le racisme et la bestialité des puissants, pour la paix et la justice.