Monsieur le Président,
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être,
Si vous avez le temps.
L’autre soir je vous ai écouté
Dans une émission télévisée
Décrier notre métier,
Tenir des propos erronés.
Comment pourrais-je décrire fidèlement,
Ce que j’ai ressenti en cet instant ?
Quelques minutes devant mon écran
Ont suffi à mon anéantissement.
Je n'ai jamais compté mon temps,
Monsieur le Président,
Cela s'appelle la générosité,
Et il y en a, dans notre métier.
Il ne sont pas rares les plus dévoués,
Contrairement à ce que vous souhaitez faire penser,
Monsieur le Président.
Je consacre deux heures
Aux élèves en difficulté,
Je consacre trois heures,
À ceux qui ne parlent pas français,
Je n'ai jamais refusé de rencontrer
Un parent qui me le demandait.
Et quand je sors le soir
Il n'y a plus dans mon établissement,
Un seul enfant pour me dire au revoir.
Ce trimestre, j'ai corrigé 1800 copies,
Je suis venue tôt faire mes photocopies,
J'ai préparé mes cours assidûment, longuement
Sérieusement, consciencieusement.
Mon petit garçon n’a de cesse
De réclamer ma tendresse
Des week-ends durant,
Devant la porte du bureau
Où je m’enferme en travaillant.
Et puisqu'il faut compter,
Monsieur le Président,
Comme si l'école était une entreprise
Qui elle aussi connaît la crise.
Je travaille au bas mot
Quarante-cinq heures par semaine.
J'ai passé cinq ans à l'université
Pour me spécialiser,
Je ne peux pas enseigner,
Autre chose que ce pourquoi
La France m'a diplômée.
Faudra-t-il proposer des cours au rabais ?
N'est-ce pas cher payer,
Pour économiser ?
La France est bien abîmée,
Fallait-il en rajouter,
Humilier, désespérer,
Les Hussards des collèges et lycées ?
Et les parents, les enseignants diviser ?
Et si l’ennemi de la France
N’est pas la finance,
Pourquoi mettre au banc des stigmatisés
Les professeurs depuis cinq années ?
Est-ce donc là votre idée
De la justice et de l'équité ?
S'il faut économiser, Monsieur le Président,
Revoyez les salaires de nos dirigeants,
Vous êtes bon apôtre, Monsieur le Président,
Je vous ouvre ma porte, celle de l'école forte,
Vous avez la tête pleine,
De haine, de rancune et de données,
Nous avons l'âme pleine,
D'idéaux, de devoirs et de dignité.
Gwladys, Marie, Sandrine, jeunes enseignantes du secondaire
Qu'est-ce qui a motivé cette lettre ?
C'est l'émission télévisée "Des paroles et des actes", sur France 2, le mardi 06 mars 2012 à 20h35.
Extraits
Question de David Pujadas : " (…), le statut de la fonction publique, est-ce que vous y touchez?"
R Réponse de Nicolas Sarkozy : " Alors, le statut de la fonction publique, d'une manière générale, non. Mais j'ai fait une proposition pour les enseignants. Je ne comprends pas pourquoi les enseignants primaire, primaire et maternelle, ont vingt-six heures d'obligation de service par semaine. Les enseignants du collège et du lycée ont dix-huit heures d'obligation de service par semaine. Je souhaite que les enseignants du collège et du lycée puissent être à la disposition de leurs élèves pour aider les élèves qui n'arrivent pas à suivre en classe.
A Aujourd'hui, des parents qui veulent avoir rendez-vous avec l'enseignant ne peuvent pas le faire. Pourquoi ? Parce que l'enseignant n'est pas présent dans l'établissement, sauf s'il est extrêmement dévoué, parce qu'une fois qu'on a rémunéré ses dix-huit heures de cours, il n'a aucune obligation de rester dans l'établissement.
Donc, dorénavant, les enseignants du secondaire travailleront huit heures de plus. On leur demandera de faire vingt et une heures de cours et les cinq heures supplémentaires, ils feront du dialogue, du soutien, de l'encadrement, de l'écoute pour des enfants qui, dans la classe, n'arrivent pas à suivre et grâce à cela, on pourra les payer 25% de plus. "
C'est aussi pourquoi la déclaration suivante a été publiée :
"Nous, enseignants, sommes scandalisés des propos qui ont été tenus lors de l'émission télévisée "Des paroles et des actes" du mardi 06 mars 2012 par le Président de la République.
Au-delà d'une méconnaissance totale du travail effectif des enseignants du secondaire, ils révèlent un profond mépris de notre profession.
Il est inadmissible que de telles affirmations mensongères soient diffusées à une heure de grande audience sans réaction de notre part et sans qu'aucun droit de réponse ne nous soit accordé.
Il est inadmissible de laisser propager l'idée totalement erronée qu'au-delà de nos dix-huit heures d'obligation de service, nous ne sommes ni à la disposition de nos élèves, ni à celle de leurs parents.
Sans vouloir polémiquer sur la proposition de M. Sarkozy qui voudrait nous faire travailler 44% de notre temps de travail en plus, rémunéré 25%, nous sommes choqués de ses paroles et la motivation et l'enthousiasme sans cesse renouvelés qui nous animent et nous conduisent à ne jamais compter nos heures pour mener du mieux possible la mission de service public, qui nous a été confiée et que nous avons choisie, s'en trouvent profondément ébranlés.
Nous sommes consternés, effondrés, anéantis."