C’est un argument qui m’a, je l’avoue, plutôt séduit par le passé. “Ce qui est primordial et déterminant, disions-nous entre membres de la FI, ce n'est pas le chef de file mais c’est le programme“. Et nous avions, de toute évidence, raison. Bien sûr, tout programme, dans l’état actuel de la République française, et dans le cadre d’une élection présidentielle, a besoin d’être porté par une personnalité connue et reconnue. Mais c’est vrai, la formule “Il n’y a pas d’homme providentiel“ me plaisait bien. Elle faisait écho à l’hymne prolétarien : “Il n’y a pas de sauveur suprême, etc. “
D’autant plus que, au sein même de la FI, de forts caractères ont maintenant éclos. On citera entre autres, pêle-mêle et dans le désordre, Quatennens, Obono, Panot, Autain, Bernalicis et peut-être surtout, Ruffin. Pourquoi ne pas leur faire confiance ?
Autre aspect négatif pour Mélenchon, c’est qu’il serait maintenant trop vieux pour incarner un avenir crédible.
Enfin, son caractère le désavantagerait, car ses colères médiatisées révèleraient un manque de maîtrise de soi préjudiciable à la fonction qu’il brigue.
En tous les cas, il vaudrait mieux quelqu’un de plus jeune et qui ne porterait pas le poids du passé, que ce passé soit celui de la social-démocratie par laquelle il a fourbi ses armes en politique, ou celui d’un homme pris au piège tendu par la justice-aux-ordres dans lequel il serait tombé. Bref quelqu’un de moins clivant.
Et puis, j’ai changé d’avis.
C’est qui, JLM ?
La première fois que j’avais entendu parler de Jean-Luc Mélenchon, c’était il y a un peu plus de dix ans, vers 2008 ou 2009. Mon beau-frère m’avait dit : “Il y en a un (un homme politique) qui dit des choses intéressantes, c’est Mélenchon “ ! Je n’avais jamais été sensible auparavant au discours social-démocrate et je ne croyais guère à ce que quelqu’un issu des rangs de cette gauche de pacotille puisse proposer autre chose que des réformettes pour sortir le pays de l’ornière libérale (Sarkozy venait d’être élu) où il était englué. J’ai dû répondre à mon beau-frère quelque chose comme « – Ah ! Bon ! Tu crois ? »
Jean-Luc Mélenchon venait, il me semble, à ce moment-là, de quitter le PS et de créer le PG, après avoir voté non au referendum sur les traités européens. Connu des militants PS, car ayant été ministre de Jospin, il l’était encore assez peu du grand public et en tous les cas moi, je ne le connaissais pas.
En gros progrès et peut encore mieux faire
Ce n’est en réalité qu’avec les élections de 2012 et la proposition de programme du Front de gauche, que j’ai été politiquement réveillé par l’enjeu et que j’ai commencé à être réellement intéressé par celui qui portait ce programme. Jean-Luc Mélenchon avait alors 61 ans.
Grâce à lui, en grande partie, il fallait bien l’admettre, les idées de la gauche radicale (communistes et gauche progressiste) réussirent alors le tour de force de passer de la quasi inexistence avec les moins de 2% de Marie-George Buffet (alors que c’était, d’après moi, une très bonne candidate sur un programme voulant répondre entre autres à l’urgence sociale par l’augmentation de l’impôt sur la fortune) en 2007, à plus de 11% des voix portées sur un programme de rupture avec le libéralisme. Après vingt ans de léthargie dépressive consécutive à la chute de l’URSS, on pouvait à nouveau être fier de nos drapeaux rouges et développer nos arguments et nos analyses pour changer la société et le régime capitaliste.
Lorsqu’en 2016 Mélenchon fonda le Mouvement de la France insoumise, je m’y inscrivis donc naturellement et je m’engageai résolument dans la campagne électorale au soutien de sa candidature aux présidentielles l’année suivante (2017) et surtout en appui au programme “L’Avenir en commun“. Les 19,58% des suffrages obtenus ne me comblèrent pas, évidemment, mais c’était un progrès immense, de presque recoller ainsi aux scores de Jacques Duclos (21%), presque 50 ans plus tôt.
Gagne à être connu
Je fus en tous les cas particulièrement intéressé et attentif lorsque Mélenchon vint à La Rochelle en 2016, présenter son livre, “le choix de l’insoumission“. J’étais aux premières loges, car désigné par la FI pour lui servir de chauffeur pendant son séjour rochelais. Je fus alors convaincu par l’épaisseur du personnage, qui m’apparut comme un homme aimable dans l’intimité et côté homme public, comme un potentiel homme d’état par son charisme, ses propositions argumentées et sa connaissance de la géopolitique, autant qu’un militant infatigable et convaincu, obsédé de politique et avide de toute information.
C’est aussi à partir de ce moment que je mesurai toute la qualité de l’équipe qui l’entourait et qu’il avait choisie. Tous jeunes ou très jeunes, tous diplômés ou très diplômés, tous dévoués et efficaces.
De ce jour, j’ai été convaincu. Non pas de me soumettre à un chef de file, à un gourou (ce qui serait un comble pour un insoumis -et d’ailleurs, à ce propos, quel autre candidat refuse-t-il qu’on scande son nom, préférant avoir pour seul slogan le mot “Résistance“ ?).
Mais convaincu qu’il mériterait au moins qu’on se pose des questions sur son personnage, si, d’aventure, des tares personnelles lui étaient attribuées. Convaincu donc qu’il ne fallait en aucun cas se laisser emporter par les caricatures éventuelles que les médias voudraient nous imposer. Qu’à chaque acharnement supplémentaire sur sa personne il faudrait d’abord réfléchir pour éviter de tomber bêtement dans les panneaux médiatiques. (Que l’on se souvienne de la façon dont ont été traités en leur temps, Georges Marchais, Henri Kraczucki, ou Marie-Georges Buffet.)
Alors, examinons les griefs possibles contre JLM :
Colérique invétéré ?
Tout le monde a en mémoire les images qui ont tourné quotidiennement en boucle pendant plus d’un an sur la perquisition à la FI et la colère de Mélenchon. Il s’agissait pour les médias de montrer qu’il ne tenait pas ses nerfs et qu’il ne ferait donc pas un bon Président. Rappelons que pour les membres de la FI présents ce jour-là, il ne s’agissait en aucune manière d’empêcher la perquisition mais bel et bien de pouvoir entrer dans leurs propres locaux pour assister à cette perquisition.
Quant à l’attitude de Mélenchon, je comprends très bien qu’il ait tenté d’exprimer son attachement aux valeurs républicaines par, entre autres, la fameuse phrase : “la République, c’est moi“. Il signifiait par là que la fonction de député doit être plus importante aux yeux de la République que la mission répressive d’un sbire procureur aux ordres du ministère. Non seulement il avait raison, mais personnellement, je n’aurais pas apprécié un responsable de la FI au sang- froid de serpent, que rien n’aurait atteint et qui aurait laissé faire sans réaction une telle bassesse.
Bien trop vieux, JLM ?
En 2022, Bernie Sanders et Joe Biden auront 81 ans, Trump aura 76 ans, etc.
Voyons-voir, quelqu’un présente-t-il cet âge canonique comme la pierre de touche de leur avenir politique ?
Et même si, personnellement, je préférerais pour notre camp, des candidats plus jeunes, ce n’est, en aucun cas ce critère qui déterminera mon choix.
Comment ? Il faudrait -et j’en suis d’accord- ne pas faire passer les egos en premier et plutôt s’intéresser aux programmes mais le premier critère de choix serait celui de l’âge du porteur principal du projet ? Non, je choisirai “l’Avenir en Commun“ avec Mélenchon, 73 ans, plutôt que la haine des musulmans ou des étrangers avec Le Pen, 58 ans, ou que la banque Rothschild au pouvoir avec Macron, 45 ans.
Suppléants éventuels
D’autres, plus jeunes, pourraient le remplacer. Beaucoup, parmi les nouvelles figures de la FI emportent, à juste titre, l’adhésion et parfois même l’enthousiasme des adhérents.
Oui, mais, concrètement, qui serait plus ou seulement aussi légitime ?
Qui est à la fois déjà connu de tous les Français, assez brillant orateur, excellent débatteur, capable de dominer des sujets multiples, suffisamment expérimenté, internationalement reconnu ?
Qui s'est déjà battu et a obtenu des millions de voix en faveur de l'AEC ?
Et croyez-vous, quel que soit le ou la candidat.e choisi.e, que les journalistes le ou la laisseront tranquillement développer le programme qui nous intéresse et qui condamnerait leurs employeurs, les propriétaires milliardaires des médias, sans attaquer sa personne et lui porter tous les coups foireux possibles ?
Que susciteraient-ils comme haine si Danièle Obono était candidate ? Pensez-vous qu’ils n’oseraient pas abuser de l’insulte raciste ? Ne devrait-elle pas passer son temps à se justifier pour son soi-disant “islamo-gauchisme“ ?
Qu’en serait-il avec Jean-Luc Ratenon ou Younous Omarjee ?
Que susurreraient-ils si c’était François Ruffin ? Que seul son ego le pousse à se mesurer à Macron ? Qu’il est bien trop proche des gilets jaunes, donc violent ?
Qu’insinueraient-ils si c’était Mathilde Panot ou Ugo Bernalicis, Adrien Quatennens ou même Éric Coquerel ? Se contenteraient-ils d’évoquer leur jeunesse, leur inexpérience, ou quoi d’autre ?
Quelles injures provoqueraient chez eux la candidature de Clémentine Autain ou celles d’Alexis Corbière ou de Manon Aubry ou Manuel Bompard ?
Hésiteraient-ils à insulter Caroline Fiat à coup de quolibets du genre “bac moins deux“ comme l’osent déjà régulièrement les députés LREM à l’Assemblée Nationale ?
JLM : Le choix de la raison
Il nous faut quelqu'un capable de résister à ces pressions ! Bien sûr, aucun de ces candidats potentiels (et il y en a d’autres, mais encore moins connus du grand public) ne démériterait à mes yeux et si l’un ou l’autre avait été choisi.e, je l’aurais également soutenu.e du moment qu’il ou elle s’appuierait sur le programme L’AEC qui me convient.
Mais, outre qu’aucun n’est candidat, et qu’aucun n’a réellement assez de notoriété pour l’être, je dois bien reconnaître que le seul reproche qui puisse être fait à Jean-Luc Mélenchon, c’est son âge et c’est bien peu par rapport aux qualités qu’il incarne : charisme, expérience, culture, art oratoire et art de la pédagogie, constance, consistance et fermeté du discours, faculté à encaisser et rendre les coups, etc.